Hugo de Senger

Franz-Ludwig-Hugo von Senger était d’origine germanique. Il naît dans la petite ville bavaroise de Nördlingen le 13 septembre 1835. On sait peu de choses sur sa famille. Son père était avocat très haut placé et avait le titre de chevalier. Sa mère quant à elle est tragiquement décédée alors que son fils n’avait que sept ans. Cette disparition à ce si jeune âge et l’absence du père n’ont pas dû procurer à Hugo de Senger l’enfance la plus tendre. Elle a certainement au contraire été cruelle. Son père, homme autoritaire, trop occupé dans ses affaires, ne pouvait s’occuper de son fils qui a tout d’abord été mis en pension puis a séjourné dans différents instituts ou il a complété son éducation. 

 

Jeune adulte, Hugo de Senger obtient son doctorat en Philosophie. Déjà à cette époque de sa vie, le jeune musicien se montre très lettré et sensible aux arts. Contre l’avis de son père qu’il préfère fuir, il choisit finalement d’entamer une carrière de musicien, mais le parcours est semé d’embuches. Une lettre d’Hector Berlioz, qui est citée dans chacun des textes relatant la vie de Hugo de Senger, notamment dans le livre de Gustave Doret, « Trois Précurseurs », décourage le jeune musicien allemand de se rendre à Paris. Dans cette lettre, Hector Berlioz explique qu’il est lui-même en difficultés dans la capitale, même en tant que français et qu’il ne peut malheureusement pas l’aider à s’y faire connaître. Selon lui, tout y serait aux mains des « barbares » et il aurait meilleur temps de rester en Allemagne. Hugo de Senger, qui semble avoir compris la situation, renonce à se rendre à Paris mais, attiré par de nouveaux horizons, quitte tout de même l’Allemagne. C’est dès cette période qu’il sera actif en Suisse.

 

Son parcours en Suisse suit un cheminement logique d’Est à Ouest. Il arrive tout d’abord à Saint-Gall où il est directeur des concerts. Peu de temps après, c’est à Zurich qu’il s’installe où il est nommé second chef du théâtre. Ses confrères et compatriotes présents dans le pays lui offrent des opportunités de concerts à Genève où il se rend alors pour diriger une troupe d’opéra allemande. Tout de suite, Hugo de Senger est bien accueilli par les mélomanes genevois de l’époque. Le jeune chef encourage l’exécution d’un répertoire plus moderne et ambitieux pour la petite citée calviniste. C’est le début d’une nouvelle ère pour Genève qui, au milieu du XIXème siècle, se veut plus ouverte et moderne.

 

Un bref passage à Paris lui permet de rencontrer son correspondant Hector Berlioz ainsi que Camille Saint-Saëns et Charles Gounod. Mais c’est à Lausanne que les meilleures opportunités professionnelles se présentent à lui. On le retrouve donc en 1866 à y diriger un orchestre allemand qui se produit aussi bien à Lausanne où il est implanté, qu’à Genève où sa venue est toujours appréciée et encourage la cité de Calvin à se doter d’un effectif orchestral. Cet ambitieux projet est concrétisé en 1869 avec la « Société des Grands Concerts Nationaux » que Hugo de Senger est tout de suite invité à diriger. Dès cette date, il s’installe à Genève où il vivra jusqu’à sa mort.

 

La carrière de pédagogue de Hugo de Senger à Genève débute aussi dès cette période. En plus de l’enseignement en privé, il est nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Musique de Genève en 1873, un poste qu’il honorera presque jusqu’à sa mort. Dans l’institution, il dirige aussi la société de chant avec lequel il donne en concert la Grande Messe de Requiem de Verdi, notamment. 

 

La programmation ambitieuse de Hugo de Senger encourage la ville à se doter d’un orchestre professionnel permanent. La Société des Grands Concerts nationaux n’a tenu que deux ans et la ville se retrouve sans orchestre. C’est grâce à cette volonté politique soutenue largement par le mélomane Alexandre Turrettini que le projet prend forme en 1876. C’est alors l’Orchestre de la ville de Genève que Hugo de Senger dirige. La nouvelle formation fait ses preuves sur le plan artistique mais les choses se gâtent à nouveau au bout de deux ans seulement, pour des raisons financières. L’année suivante, le Grand Théâtre est inauguré. Le nouveau bâtiment et l’institution musicale qu’il renferme abritent tout de suite l’orchestre de l’ancien théâtre, le théâtre de Neuve. Cette formation établie dans le nouvel édifice culturel est destinée à l’exécution des ouvrages lyriques, se modernise et devient plus professionnelle. A l’époque, la musique symphonique prenant de plus en plus d’importance, cet orchestre se voit aussi confier dès sa première année dans le nouveau théâtre, une saison de concerts symphoniques. Pour une petite ville comme Genève, il n’était pas question de fonder et de financer un deuxième orchestre professionnel. C’est donc tout naturellement que celui du théâtre (que l’on considérait d’ailleurs comme « Orchestre de la Ville de Genève » et non privatisé au théâtre) a fait découvrir le répertoire symphonique aux Genevois. Et c’est une fois de plus Hugo de Senger qui est chargé d’assurer ces nouvelles saisons symphoniques, les « Concerts classiques ». Son travail, toujours très apprécié, permet de faire découvrir au public, les compositeurs contemporains, en grande partie les Français, de par la proximité de Paris où le chef d’orchestre a rencontré les compositeurs les plus célèbres. C’est ainsi que l’on peut surnommer Hugo de Senger de « Ernest Ansermet du XIXème siècle », pour reprendre l’expression du musicologue genevois Jacques Tchamkerten. Les deux musiciens ont effectivement, chacun à leur époque, marqué l’histoire de la musique à Genève par leur goût pour la musique contemporaine française et leurs tempéraments de précurseurs. 

 

Le 7 mai 1880, Hugo de Senger et son épouse donnent naissance à Hugo Rudolf Alexander à Genève. Il deviendra architecte et fervent opposant à l’esthétique du Corbusier. On lui doit en Suisse notamment la gare de Saint-Gall et divers bâtiments qui caractérisent aujourd’hui le style architectural conservateur du début du XXème siècle.

 

La carrière de chef d’orchestre et de directeur artistique de Hugo de Senger est à son apogée en 1885 ainsi que l’année suivante, quand les compositeurs français les plus célèbres de l’époque répondent à l’invitation de venir diriger leurs propres œuvres à Genève. C’est ainsi que les genevois peuvent acclamer Camille Saint-Saëns, Leo Delibes, Jules Massenet, Ernest Guiraud en personnes, ainsi que Peter Tchaïkovski quelques années plus tard. Chacune des œuvres exécutées ont été soigneusement préparées par le chef d’orchestre allemand avant l’arrivée des grandes vedettes. Il est aussi à noter que Hugo de Senger était un des rares chef d’orchestre et compositeurs à s’entendre très cordialement, avec son compatriote, l’excentrique Richard Wagner. De caractère totalement différent, il avait tout de même assez de talent et de mérite pour valoir le respect du célèbre compositeur d’opéras allemand. 

 

Entretemps, un autre événement d’importance à eu lieu à Genève ; L’exécution en version de concert de « La Damnation de Faust » d’Hector Berlioz en 1883. L’effectif orchestral, choral et le nombre de solistes requis étaient considérables pour l’époque et une fois de plus, le projet ambitieux a été rendu possible grâce au professionnalisme de Hugo de Senger. Le chef a pu faire venir les effectifs manquant de Paris d’où il entretenait de multiples correspondances. Sur le plan financier, il a pu compter sur le soutien de Daniel Barton, le consul d’Angleterre, qui reste aujourd’hui célèbre pour avoir financé la construction du Victoria Hall de 1891 à 1894, la mythique salle de concert genevoise. 

 

C’est aussi à cette époque que Hugo de Senger encourage la jeune génération de compositeurs, celle qui s’épanouira au début du XXème siècle. Le plus célèbre d’entre eux est Paul Dukas. Le compositeur de l’apprenti Sorcier a en effet reçu un généreux coup de pouce de Hugo de Senger alors qu’il tentait de débuter une carrière de compositeur en 1884. Conscient du talent du jeune homme, il rassemble les membres de son orchestre pour lui faire entendre une de ses dernières œuvres. Le jeune artiste regagne la France enchanté par cette rencontre et cette expérience encourageante.

 

Cet enchainement de succès sur le plan musical et pédagogique est le fruit d’un intense travail qui commence à épuiser Hugo de Senger. En plus de son ambition toujours plus grande à rehausser le niveau de l’orchestre (qui à cette époque était encore composé d’amateurs « éclairés »), il doit désormais faire face aux jalousies purement politiques.

 

Toutes ses fonctions artistiques et pédagogiques permettent à Hugo de Senger de subvenir à ses besoins mais lui laissent bien peu de temps pour son activité de compositeur, ce qui était au départ son ambition première. De plus, il était si modeste qu’il devait faire face à ses propres hésitations avant de coucher ses idées sur les portées. Son premier grand succès en composition n’arrive donc qu’à la fin de sa vie, avec sa fête des Vignerons de 1899. Le compositeur nommé pour cette édition vient de se désister et le comité d’organisation cherche désespérément un autre compositeur de talent pour écrire le traditionnel Festspiel, genre typiquement suisse. C’est après de nombreuses hésitations et de profondes réflexions sur ses capacités à écrire l’œuvre rapidement que Hugo de Senger accepte la proposition. Son écriture témoigne de son talent de compositeur. Celui-ci a bien compris dans quel style il devait écrire cet ouvrage populaire. Il a su mettre de côté son langage allemand passionné plus lourd, que l’on peut trouver dans ses Lieder, pour respecter à merveille cette idée de légèreté poétique et bucolique recherchée pour un Festspiel. La musique remporte un grand succès. Ce succès permettra à Hugo de Senger de recevoir une commande pour le Grand Théâtre de Genève, l’opéra « Bonivard » qui restera au stade de projet jusqu’à la mort du compositeur qui survient le 18 janvier 1892. En plus d’une rue et d’une école portant son nom, le musicien a lui aussi son buste dans le foyer du Conservatoire de Musique de Genève. La sculpture commémore ses années d’enseignement fort apprécié dans l’institution.

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