Henri Marteau

Henri Marteau (1874-1934) peut être considéré comme un précurseur dans l’histoire du Conservatoire de musique de Genève. En effet, c’est pour une large part sous son impulsion, que les classes professionnelles de virtuosité vont se développer considérablement. Il fait ainsi partie de cette génération de professeurs du tournant du siècle à avoir posé les jalons d’une nouvelle ère pour l’institution.

 

Natif de Reims, c’est dans cette ville qu’il passe son enfance. Son père est français, sa mère allemande. Sa famille est issue des classes aisées, c’est ainsi que dès sa jeunesse, Henri Marteau, dont les parents sont musiciens, fait la connaissance de grandes personnalités musicales de l’époque. En dehors de ses affaires commerciales, son père, violoniste amateur, organise des concerts avec la Société Philharmonique de Reims et sa mère, pianiste, a été l’élève de Clara Schumann dont elle était filleule. Mais c’est le célèbre violoniste italien, élève de Niccolò Paganini, Camillo Sivori, qui incitera le jeune Henri Marteau à jouer du violon. Il a alors seulement cinq ans. Son premier professeur est August Bünzli, mais rapidement, le jeune violoniste se révèle être un enfant prodige et son père fait appel à Hubert Leonard, éminent violoniste et compositeur, pour poursuivre son enseignement. 

Henri Marteau interprète le concerto de son maître en concert le 9 avril 1884, il n’a alors que dix ans. Le public ainsi que la presse sont conquis. 

Sous l’aile de son parrain, le pianiste Francis Planté, Henri Marteau part donner des concerts en Allemagne et en France. A douze ans seulement, le petit violoniste est déjà un confrère respecté de plusieurs célébrités musicales telles que César Frank, Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, en France, et Max Bruch, Joseph Joachim, Carl Reinecke, en Allemagne. Il se lie même d’amitié avec Jules Massenet. L’année suivante, c’est Charles Gounod qu’il rencontre à Reims, celui-ci écrit à son intention un interlude pour violon et orgue destiné à être joué lors des festivités du jubilé de la cathédrale de Reims.

 

C’est à l’adolescence qu’Henri Marteau entame réellement une carrière de concertiste. Outre une tournée pendant laquelle il se fait remarquer dans toute l’Allemagne, c’est sa rencontre avec le plus éminent chef d’orchestre germanique de l’époque qui marque ce tournant décisif dans sa vie. Hans Richter l’invite à se produire en concert avec lui dans la capitale. Au programme, le concerto en sol mineur de Max Bruch. Le succès est unanime et retentissant dans la presse, aussi bien en Allemagne qu’en France et jusqu’à Londres. Même Giuseppe Verdi présent au concert dresse un portrait plus qu’élogieux du jeune concertiste. C’est après cet événement important qu’Henri Marteau fait la connaissance de Johannes Brahms. 

 

Hubert Leonard s’éteint le 6 mai 1890. La disparition du maître qui lui a transmis tout son savoir et tant encouragé, bouleverse Henri Marteau qui se met alors à travailler avec acharnement comme pour lui rendre hommage.

 

En 1891, après avoir travaillé l’œuvre durant des mois, Henri Marteau assure la création suisse du concerto de Johannes Brahms.

 

L’année suivante, Henri Marteau obtient les premiers prix de composition et de violon au Conservatoire de Paris. Il remporte aussi le prestigieux concours du Conservatoire National de cette même ville ce qui lui ouvre les portes des salles de concert du monde entier. La jeune star prend alors le large pour les Etats-Unis en 1893 pour y effectuer une tournée. Ce voyage est l’occasion d’une nouvelle rencontre marquante : au Carnegie Hall de New York, Antonin Dvořák présent lors de la création de sa Symphonie du Nouveau Monde entend Henri Marteau jouant le concerto de Johannes Brahms lors du même concert. Très impressionné, le compositeur tchèque lui remettra la partition de son propre concerto pour violon que le jeune virtuose jouera plus tard lors de sa tournée. 

 

De retour en Europe, Henri Marteau enchaine les tournées, notamment dans les pays scandinaves où il se sent particulièrement bien ; le climat semble lui convenir et les principales personnalités musicales locales l’accueillent avec enthousiasme. Surtout en Suède. C’est dans ce pays qu’Henri Marteau voudra se réfugier pendant la première Guerre Mondiale, allant même jusqu’à en obtenir la nationalité. C’est ainsi que le violoniste se fera ambassadeur de la musique scandinave en Allemagne, se voyant dédier de nombreuses œuvres de compositeurs nordiques.

 

L’année 1900 marque une étape importante dans sa carrière de musicien, Henri Marteau est nommé professeur de violon au Conservatoire de musique de Genève. Sa postulation est acceptée par le comité. Il va de soi que pour un tel concertiste, l’enseignement n’était pas une fatalité pour subvenir à ses besoins. L’enseignement semble l’intéresser autant que ses concerts dans toute l’Europe. Mais dans le cas d’Henri Marteau, le terme d’enseignement est nuancé en faveur de la formation de futurs musiciens professionnels, une tendance relativement nouvelle pour le Conservatoire de Genève, le premier de Suisse. Le nouveau professeur y instaure aussi une classe d’orchestre et de quatuor à cordes. Il semble se plaire à Genève où son ancrage est encore marqué aujourd’hui par la présence de sa descendance. En plus de son implication de professeur, Henri Marteau est un acteur important de la vie musicale genevoise de ce tournant du siècle. Il fonde notamment sa propre série de concerts qui sera nommée « Concerts populaires Marteau ». Grâce à tous ses contacts, il peut faire venir du reste de l’Europe des artistes de premier plan tels que Fritz Kreisler, Joseph Joachim, ou encore le violoniste belge, Eugène Ysaÿe. C’est donc dès cette époque et en grande partie grâce à Henri Marteau que Genève devient un centre musical international notable. D’autres précurseurs tel que Henri Gagnebin, compositeur, fondateur du Concours de Genève ou Georg Templeton Strong seront actifs dans cette continuité. Ce développement est étroitement lié à celui des classes professionnelles de virtuosité voulu par Henri Marteau. 

 

En 1901, Henri Marteau créé le concerto pour violon en do mineur d’Emile Jaques-Dalcroze qui lui est dédié. Le succès est retentissant et unanime dans la presse genevoise et suisse aussi bien pour l’œuvre que pour l’exécution d’Henri Marteau. 

 

Cette année 1900 est aussi celle de son premier mariage avec Agnès von Ernst, d’origine allemande et mère de l’écrivain Jean Marteau. Cependant, après quelques années de vie commune, le couple va se séparer. Henri Marteau s’étant amouraché d’une de ses élèves, Blanka Hirsekon, -dite Blanche- la relation qu’il va entretenir avec cette dernière provoquera le divorce.

 

En 1908, ces graves problèmes familiaux et une mésentente avec la direction du conservatoire ont décidé Henri Marteau à quitter définitivement Genève pour s’installer ailleurs avec sa nouvelle compagne. Il peut compter sur son ami et partenaire de musique de chambre Max Reger pour lui obtenir un poste intéressant. Ce dernier vit à Leipzig où sa fonction et sa notoriété peuvent exercer une grande influence sur les nominations. Il propose ainsi à Henri Marteau rien de moins que le poste de directeur du conservatoire de Leipzig, ce qui ne devait pas convenir à un concertiste comme Henri Marteau. Il succèdera finalement à Joseph Joachim au poste de professeur de violon au conservatoire de Berlin. Le titulaire du poste, qui avait beaucoup d’estime pour Henri Marteau vient de mourir et quelques mois plus tard, la décision est prise. Les farouches oppositions à cette nomination ont rapidement été balayées par l’empereur Guillaume II qui appréciait bien le violoniste. Aux yeux des opposants, destiner à un prestigieux poste allemand, un français à l’époque où triomphe le nationalisme, alors que la France et l’Allemagne se regardaient en chien de faïence, était impensable.

 

Henri Marteau s’installe donc à Berlin avec sa nouvelle compagne qu’il épouse en 1910. De leur union, naitront quatre enfants. Le couple entame avec joie cette nouvelle vie et se fait construire une résidence secondaire à Lichtenberg, près de Munich. Cette demeure bourgeoise de taille imposante, a été préservée par les héritiers du violoniste-compositeur et est aujourd’hui encore la « Maison Marteau » qui accueille des rencontres et des stages pédagogiques pour jeunes musiciens. 

 

En 1914, la guerre éclate. Henri Marteau, allemand mais aussi français, est très rapidement visé et malmené par les autorités allemandes. Une telle pression est exercée contre lui qu’il est obligé de démissionner de son poste de professeur à Berlin. Il est d’abord assigné à résidence puis, soupçonné d’être engagé comme espion par les Français, emprisonné et interné dans des camps. 

A la fin de la guerre, Henri Marteau peut enfin vivre librement mais côté professionnel, tout a été volontairement anéanti par ses collègues sans doute envieux et ayant profité des suspicions des autorités pour détruire sa notoriété et le chasser du conservatoire. Henri Marteau doit une seconde fois refaire sa vie ailleurs et c’est en Suède qu’il projette d’aller retrouver ses amis musiciens qui l’invitent à diriger un orchestre à Göteborg, ce qu’il fera pendant deux ans. Alors qu’il est encore domicilié à Lichtenberg, ces contacts lui permettent d’obtenir rapidement la nationalité Suédoise et, heureux et fier, il hisse le drapeau Suédois en Allemagne dans son jardin ! Le geste était-il provocateur ? Il est possible qu’Henri Marteau ait voulu montrer à ses ennemis que si son talent et son patriotisme étaient de façon humiliante désormais dénigrés en Allemagne, ils étaient chaleureusement accueillis en Suède. Malgré tout, Henri Marteau reste en Allemagne où sa réputation de pédagogue se reconstruit petit à petit. Il est engagé à Leipzig, Prague et surtout Dresde où il est très particulièrement apprécié durant plusieurs années. 

 

La popularité d’Henri Marteau est en perte de vitesse à la fin de sa vie. Comme concertiste, il n’a jamais pu se remettre sur le devant de la scène et même les élèves préfèrent désormais les professeurs plus jeunes. Son épouse Blanche en contact avec des politiques influents fait tout pour lui obtenir un nouveau poste mais Henri Marteau, souffrant d’une pneumonie, finit par s’éteindre en 1934 à l’âge de soixante ans, auprès d’elle à Lichtenberg. Son nom n’est pas tombé dans l’oubli. Son épouse a beaucoup œuvré pour le maintien de sa renommée posthume. C’est surtout en Allemagne, où il a vécu le plus longtemps que le nom d’Henri Marteau reste connu de nos jours. Ses compositions, ses travaux d’éditions de partitions, son talent de pédagogue ses nombreux concerts qui ont marqué la presse internationale font de ce musicien une des personnalités musicales de premier plan du tournant du siècle et une des figures les plus marquantes des débuts du Conservatoire de Genève comme institution académique pour futurs professionnels.

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