La famille de Charles Bovy-Lysberg (1821-1873) était originaire du canton de Vaud. Ces Vaudois de classe sociale défavorisée étaient pour la plupart agriculteurs, ouvriers ou bûcherons. C’est un jour de routine professionnelle dans les rues de Genève et accompagné de son père bûcheron, que le jeune Jean-Samuel Bovy avait découvert son intérêt pour l’art de la bijouterie. Il avait alors décidé de poser la hache et la scie et de rester à Genève pour se consacrer à son nouveau centre d’intérêt. C’est là, que Jean-Samuel, grand père du compositeur, y fonda sa famille.
Charles Samuel Bovy-Lysberg est donc né à Genève le premier mars 1821. Son père Antoine Bovy était graveur de médailles réputé. En 1832, alors que ce dernier part travailler à Paris, il confie son jeune fils à son ami le pasteur Dufour qui habite Dardagny. Le jeune garçon y passe deux ans et y reçoit son éducation générale. Il aime beaucoup dessiner et lire mais ce qui l’intéresse le plus dans ce foyer est le piano, que lui fait découvrir sa jeune amie Caroline, fille du pasteur. Antoine écrit à Jean-Samuel en 1835, qu’il s’est, après de longues hésitations, finalement résolu à laisser son fils étudier la musique. Le jeune Charles, ravi, part alors étudier la musique à Paris.
Dans le grand centre urbain et artistique, il rencontre rapidement Frédéric Chopin. Le grand pianiste est impressionné par le jeune homme et lui propose des leçons. Bovy-Lysberg ne pouvait bien sûr qu’accepter l’élogieuse suggestion. Le grand maître peut transmettre au jeune talent une solide technique et une grande musicalité. C’est ainsi que son élève se fait aussi remarquer en 1836 par Franz Liszt. Ce dernier lui donne quelques judicieux conseils. Avec Antoine-François Marmontel ou un certain Delair, il étudie aussi la composition. Il peut alors soumettre à Franz Liszt une barcarolle de sa main. Heureux de voir le grand maître apprécier la pièce, il la lui dédie. Franz Liszt l’aide ensuite à la faire éditer chez le célèbre éditeur Richault. Dans ces premières pièces, le jeune compositeur signe du pseudonyme de Lysberg (qui n’a rien à voir avec une compilation de deux noms : Liszt-Thalberg).
Après ses études, Bovy-Lysberg continue à écrire de la musique pour piano. Il se taille surtout une excellente réputation de professeur de son instrument et compte beaucoup d’élèves. Il vit ainsi jusqu’à la révolution de février 1848, qu’il préfère fuir. Il rentre donc à Genève où il est bien reçu et engagé pour enseigner le piano aux jeunes filles, élèves du Conservatoire de musique de Genève. Il épouse le 19 octobre Alice Fazy, la fille de Jean-Louis Fazy. Le couple habite Genève quelques mois mais l’été venu, il s’installe finalement au château de Dardagny, qui appartient à la famille de la mariée. Bovy-Lysberg retrouve ainsi la commune de sa tendre enfance. La nature qui l’entoure l’inspire. Toujours de nouvelles pièces pour piano apparaissent. Il quitte son poste au conservatoire l’année suivante.
Sa réputation de musicien ne cesse de croître. Bovy-Lysberg joue en tournée à travers la Suisse Occidentale. Il joue avec succès à Lausanne, à Vevey, à Neuchâtel, à Fribourg et à Berne. Dans la capitale, l’ambassadeur français l’accueille chaleureusement et l’engage à jouer à une soirée.
En 1852, Bovy-Lysberg et son ami compositeur Franz Grast font partie des membres fondateurs de la Section des Beaux-Arts de l’Institut.
A Genève, Bovy-Lysberg donne aussi des concerts. Ils remportent toujours un grand succès. Il y interprète ses compositions de piano mais on y entend aussi quelques-unes de ses pièces chorales. La critique est très positive, ce qui accroit la popularité du compositeur. Cependant, en 1853, un critique écrit qu’il espère entendre des pièces plus sérieuses de la part compositeur. N’émettant aucun doute quant à son talent, il l’encourage à enrichir sa musique d’une « puissante harmonie ». C’est la première fois que la légèreté de style du compositeur est soulignée négativement. Pourtant, les gens l’appréciant sont toujours plus nombreux.
Le 17 avril 1854, après son retour de tournée, son opéra-comique « La Fille du Carillonneur » est représenté sur la scène du théâtre de Genève. Le public est très satisfait et le compositeur, qui a fait grande impression, est acclamé. La critique aussi est extrêmement positive et fait l’éloge du compositeur pour ses débuts dans l’écriture orchestrale. L’œuvre est représentée trois fois seulement et malgré son succès, tombe dans l’oubli, comme c’était souvent le cas des œuvres de compositeurs genevois. Seule l’ouverture reste jouée, notamment en version pour deux pianos que Bovy-Lysberg interprète avec son ami Prokesch.
En 1856, Bovy-Lysberg, siège à la 28ème réunion de la Société Helvétique de musique. Le rassemblement a lieu à Genève.
Dans les années qui suivent, il continue de jouer sa musique. Ses pièces pour chœurs sont aussi présentées lors d’un concert au conservatoire en 1858. Sa musique a tant de succès que le pianiste Francis Planté joue une de ses pièces en France. Il interprète la « Balladine » devant l’empereur à Fontainebleau.
Le 3 décembre 1860, son ouverture d’opéra et une nouvelle pièce chorale et orchestrale sont jouées à l’occasion d’un festival en faveur de la fondation Winkelried récemment créée à Genève. Le succès est important. Ce genre de grand concert annuel est donné jusqu’en 1870. Cette année-là, Vincent Adler, compositeur-pianiste enseignant au conservatoire, tombe malade. Il est mourant. Le comité du conservatoire demande à Charles Bovy-Lysberg de le remplacer. Il refuse d’abord mais fini par accepter à condition de ne pas avoir trop d’élèves et de ne pas être en charge de leçons d’harmonie. Il enseigne donc au conservatoire jusqu’à ce que sa santé décline à son tour. L’enseignement devient alors pour lui de moins en moins praticable.
Fatigué par une maladie du cœur, Charles Bovy-Lysberg meurt le 14 février 1873 à l’âge de cinquante-deux ans seulement. Comme il le souhaitait, ses proches l’ensevelissent tout près de sa demeure de Dardagny. Ils lui rendent hommage avec une magnifique tombe sur laquelle il est gravé :
A Charles Bovy-Lysberg 1821-1873
L’art fut sa gloire, la famille son trésor,
L’amitié sa joie et la vertu sa vie.
Nature d’où tout sort, nature où tout retombe
Faibles nids, doux rameaux que l’air n’ose effleurer,
Ne faites pas de bruit autour de cette tombe,
Laissez le juste en paix et les amis pleurer
--------
Cette tombe est restée abandonnée aux mauvaises herbes de nombreuses années mais l’ensemble du parc autour du château est maintenant entretenu.
En 1877, les anciens élèves du grand maître se rassemblent et commandent le buste de l’artiste qui est aujourd’hui au foyer du Conservatoire de Genève, à côté de ceux de ses contemporains pianistes-compositeurs, Vincent Adler et Hugo de Senger. C’est le graveur Antoine Bovy, père du défunt qui le sculpte tristement de mémoire.
Le 19 décembre 1879, le conseil d’Etat genevois attribue le nom du pianiste-compositeur à l’actuelle rue Charles-Samuel Bovy-Lysberg derrière le Grand Théâtre et le long du Victoria Hall. A son tour, la rue a donné son nom à l’actuel arrêt de bus. Ainsi un compositeur genevois oublié garde tout de même une place dans le paysage urbain.